Entre la centrale syndicale et la coalition Al-Karama, la guerre est déclarée. En cause, l’arrestation de syndicalistes accusés d’avoir agressé le député de ladite coalition Mohamed Affas à Sfax. Une affaire qui a rouvert le débat sur certaines pressions qui seraient exercées sur la justice. Et c’est exactement dans ce sens que le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), Noureddine Taboubi, a brisé le silence et a haussé le ton pour dire clairement qu’il existe une politisation de cette affaire de justice. Des accusations qui ont été immédiatement réfutées par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Intervenant lors des travaux de l’Instance nationale administrative de la centrale syndicale, Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Ugtt, a tiré à boulets rouges sur ce qu’il appelle « les champignons encore nouveaux en politique », pour qualifier la coalition Al Karama. Car selon ses dires, « la coalition du mal et l’imam Mohamed Affes sont à l’origine de l’arrestation injuste des trois syndicalistes », appelant dans ce sens à les libérer immédiatement. Sans vouloir exercer de pression sur la justice, Taboubi a estimé que depuis « l’enterrement des affaires des agressions commises par les ligues de protection de la révolution et des assassinats politiques, la justice a été placée sous le contrôle de certaines parties politiques ». « Laissez-moi dire les choses comme elles sont, la justice tunisienne a été placée sous le contrôle politique de certaines parties tant que les affaires des agressions et assassinats politiques ont été enterrées et que des dizaines de dossiers de justice traînent encore dans les couloirs des tribunaux », a-t-il déclaré, ajoutant que le pays a plus que besoin « d’une justice indépendante qui rompe avec la politique de deux poids deux mesures et qui se tienne loin des tiraillements politiques ».
Et c’est également dans ce sillage que la commission administrative nationale de l’Ugtt, réuni ce weekend à Sfax, a décidé une série de rassemblements ouvriers et de protestations au niveau régional et sectoriel, qui débouchera sur des manifestations nationales.
Le Conseil supérieur de la magistrature réagit
Face à ces accusations de politisation des affaires de justice, le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Youssef Bouzakher, ne pouvait pas ne pas réagir. Dans une déclaration accordée aux médias, il a réfuté de « telles accusations émises par le secrétaire général de l’Ugtt », estimant qu’il s’agit de « propos infondés ». « Les accusations du secrétaire général de l’Ugtt sont une forme de pression exercée sur la justice, une position qui n’honore pas la centrale syndicale », a-t-il martelé. Et de rappeler que la Constitution et les différentes lois en vigueur interdisent toute tentative d’ingérence dans les affaires judiciaires.
Cette position ferme adoptée par le premier responsable de la centrale syndicale intervient plusieurs semaines après l’arrestation de deux syndicalistes sur fond d’une affaire d’agression du député de la coalition Al-Karama, Mohamed Affes. En effet, au mois de mai dernier, le député en question avait indiqué avoir été agressé par des représentants de l’Ugtt, qui auraient refusé sa présence au Comité de suivi de la crise à l’administration régionale de la santé pour la simple raison qu’il est membre de la coalition Al Karama, ce qu’a catégoriquement réfuté la centrale syndicale. Sur fond de cette affaire, quatre personnes travaillant à l’hôpital Habib-Bourguiba à Sfax avaient été mises en examen, dont trois en état d’arrestation. Elles sont poursuivies pour violence aggravée, vol avec usage de la violence et violence envers un fonctionnaire public. La Chambre des mises en accusation avait refusé le 19 mai les demandes de libération des prévenus, en décidant de déférer le dossier devant la chambre criminelle du Tribunal de première instance de Sfax. Une série de grèves sectorielles régionales avait été observée tout au long du mois de juin en solidarité avec les syndicalistes arrêtés.
En réaction, la Coalition Al-Karama, au nom de son fondateur Seifeddine Makhlouf, avait félicité l’indépendance de la justice tunisienne et son efficacité « pour mettre fin aux dépassements des bandits syndicalistes ».
Plainte auprès de l’OIT
Ce conflit entre l’Ugtt et la coalition Al-Karama dont l’origine n’est autre qu’une affaire de justice a, en effet, rouvert le dossier des pressions exercées sur la justice mais aussi celui des atteintes contre l’œuvre syndicale en Tunisie. D’ailleurs, c’est dans ce sens que l’Ugtt envisage de porter plainte auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT). « L’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a l’intention de saisir l’Organisation internationale du travail (OIT) pour déposer une plainte concernant la violation du droit à l’action syndicale en Tunisie et les attaques violentes perpétrées par certaines parties contre la centrale syndicale », a annoncé dans ce sens Sami Tahri. Et d’ajouter que « l’Ugtt avait formulé une demande à l’inspection générale du ministère de la Justice, à l’association des magistrats tunisiens et au Syndicat des magistrats tunisiens, pour un complément d’enquête sur le dossier des syndicalistes de la santé à Sfax, afin de leur garantir un procès équitable, après qu’ils ont été arrêtés pendant plus de deux mois dans une affaire d’agression contre le député Mohamed Affas ».
Le début d’un conflit ouvert entre les forces dites «révolutionnaires» et les acteurs de la société civile et des organisations nationales conduits principalement par l’Ugtt, commence à poindre à l’horizon. D’ailleurs, il y a quelques jours, réunis lors d’une récente conférence de presse, les représentants des instances constitutionnelles et des structures syndicales et professionnelles du secteur de l’information ont dénoncé ce qu’ils ont appelé une « volonté de mainmise sur les acquis constitutionnels réalisés après la révolution, particulièrement dans le domaine des libertés individuelles et collectives ».